HAMISHI FARAH (AU, 1991)
Période de résidence: octobre-novembre 2023
Ma résidence à La Becque s’est déroulée après une période de travail chargée, au cours de laquelle j’ai réalisé deux expositions de peinture à la suite. J’ai profité de ma présence à La Becque pour me reposer mais aussi mener des nouvelles recherches qui m’ont conduit au Château de Joux, un château dans les montagnes du Jura en France qui, à l’époque napoléonienne, était utilisé comme prison d’État. Pendant la révolution haïtienne – une révolte d’esclaves qui a abouti à la première république noire indépendante – le leader révolutionnaire Toussaint Louverture a été capturé et détenu dans des conditions sordides au château de Joux, ce qui a entraîné sa mort prématurée un an plus tard, en 1804.
Aujourd’hui, ce château est un monument historique qui fonctionne principalement comme une destination touristique. Lors de la visite quotidienne, un guide m’a fait le tour du château, en expliquant comment la vie et les opérations au château ont pu fonctionner du 11e au 19e siècle. La cellule où est mort Toussaint est annoncée comme un moment fort de la visite. Cette pièce contient des lettres encadrées symbolisant la vénération de la cellule à la fois comme site historique d’Haïti et comme témoin de la visite d’Emmanuel Macron en 2023 pour commémorer les 150 ans de l’abolition de l’esclavage par la France. Elle est meublée modestement d’un simple bureau, d’un lit, d’une commode et de chaises datant du XIXe siècle. Il s’agit d’une reconstitution révisionniste de ce qu’aurait pu être la cellule lors de l’emprisonnement qui a conduit à la mort prématurée de Louverture. La cellule – rénovée pour l’accès des touristes – devient une projection d’un esclavage et d’un emprisonnement étranges et « plus doux ».
Pendant mon séjour à La Becque, j’ai également profité de l’atelier céramique de la résidence pour travailler avec un médium différent. J’ai notamment réalisé des répliques miniatures en argile du mobilier de la cellule qui proposent une nouvelle restadification de la prison pour le public.
J’ai réfléchi à la réponse du monde de l’art face au génocide de Gaza, qui formalise l’échec d’une architecture de responsabilité morale établie par la « communauté internationale » après la Seconde Guerre mondiale. Des événements qui rendent possible la naissance et l’échec de la critique institutionnelle en tant que catégorie esthétique distincte du jugement esthétique « de bon goût ». Les monuments sont une sorte d’effigie destinée à contenir le surplus de poids affectif des événements historiques. — Hamishi Farah
Néx à Melbourne, Hamishi Farah est unx artiste autodidacte d’origine somalienne, qui vit et travaille actuellement à Berlin. Son travail de peinture conceptuelle et figurative se situe dans le cadre de la production d’une politique et d’une philosophie de la représentation, avec un accent particulier sur l’après-vie libidinale de la colonialité et son imprégnation dans l’art contemporain.
Hamishi Farah, La Becque, 2023, photo Matthieu Croizier